Star Wars : le côté obscur de la traduction
Pour fêter la publication du livre Le Côté obscur (éditions Hachette), auquel ont collaboré deux membres du Collectif 1Up, et en attendant la sortie de l’Épisode IX attendu en fin d’année, nous vous invitons à plonger dans l’univers de Star Wars à travers la version française de ses films.
Au menu : adaptation libre et ses petites contrariétés, choix forts et fails retentissants, et comment un manque de contexte peut mener à des erreurs de traduction.
Si je vous dis que Yan Solo et Chiktabba se retrouvent aux commandes du Millenium Condor avec Z-6PO et D2-R2 dans La Guerre des étoiles, vous y êtes ?
Ou vous pensez à un remake cheap de l’Épisode IV : Un nouvel espoir, dans lequel Han Solo et Chewbacca pilotent le Faucon Millenium avec C-3PO et R2-D2 ? Pourtant, ce sont bien les noms utilisés dans l’opus sorti en 1977 !
Le traducteur était-il sous l’influence de substances illicites ? Les studios avaient-ils pris un stagiaire pour adapter le film ? Les doubleurs auraient-ils fait trop de zèle en disant ce qui leur passait par la tête ?
« Le monde se divise en deux catégories : ceux qui ont un pistolaser chargé et ceux qui creusent. Toi, tu creuses. »
Pas du tout ! Le responsable n’est autre que le directeur artistique de ce film, en charge de l’adapter en français à l’époque : Éric Kahane. Alors soit, cet homme imposé par la FOX a pris de grandes libertés, mais avant de le juger trop hâtivement, sachez que c’est lui qui a traduit Lolita de Nabokov (Gallimard, 1959) et qu’on lui doit la VF de films mythiques comme Orange mécanique (Kubrick), Il était une fois dans l’ouest (Leone – à ne pas confondre avec Le Bon, la Brute et le Truand, dont l’affiche est détournée ci-contre) ou Reservoir Dogs (Tarantino)…
Son motto, livré dans une interview très intéressante : « Pour qu’une traduction soit bonne, il faut parfois non pas trahir, mais adapter, rendre accessible. Il faut prendre des initiatives. » Quitte à ce qu’elles soient plus ou moins heureuses…
Bien, maintenant que les présentations sont faites, passons à ses choix pour Star Wars IV. Rappelons simplement qu’il s’agissait toutefois d’un film au budget relativement modeste, et que même s’il avait déjà rencontré un certain succès aux États-Unis au moment où les droits ont été achetés pour la France, rien ne laissait préfigurer du véritable phénomène que cette franchise deviendrait.
Si certains choix s’expliquent par la synchronisation des mouvements des lèvres (comme 6-PO pour C-3PO), ou d’autres pour éviter une potentielle confusion des genres (même s’il serait étrange de croire que le bad boy intergalactique qu’est Han Solo se prénommerait « Anne »), d’autres peuvent se comprendre comme une adaptation forcée par l’époque, sans doute plus réticente à multiplier les anglicismes, comme Jabba the Hutt, traduit par le bucolique Jabba le Forestier.
« Je m’appelle Vador. Dark Vador »
Au rayon des noms propres, impossible de ne pas mentionner le cas de Darth Vader. L’origine même du nom anglais reste un mystère : la biographie de George Lucas (également traduite par un membre du Collectif 1up !) parle d’un sportif réputé qu’il a côtoyé au lycée, un certain Gary Vader, dont il aimait le nom. Avant cela, dans une longue interview pour le magazine américain Rolling Stone, le réalisateur avait bien tenté de convaincre les fans qu’il s’agissait de variations de « dark » et « father » (en néerlandais ou autre), désignant donc en creux le « père obscur » de Luke Skywalker. Or, on sait que l’idée de ce lien de parenté est seulement née dans les dernières versions du scénario du film suivant, l’Empire contre-attaque. Il se murmure même que le secret aurait été gardé jusqu’en post-production, où la fameuse réplique « Non. Je suis ton père » (et non pas, « Luke, je suis ton père ») a été enregistrée et intégrée – sans que les acteurs ne soient au courant.
On peut imaginer que Darth soit effectivement une variante de Dark : dès lors, il est acceptable de le retrouver « décodé » en français, pour le « rendre accessible ». Peu importe au fond qu’il s’agisse d’un titre (comme il le deviendra pour Dark Sidious et consorts) ou d’un prénom (Obi-Wan l’appelle simplement Darth dans une réplique de ce film initial). La transposition fonctionne.
Mais pourquoi Vador, alors ? En parcourant publications et forums, on peut lire que c’était dans l’air du temps, avec des noms comme Albator, Musclor, X-Or… qui sont autant d’anachronismes, car Star Wars est sorti quelques années plus tôt. Donc, c’est sans doute parce que ça « sonnait mieux » en français, tout bêtement… L’explication est sans doute identique pour les autres altérations, comme Aldorande (Alderaan en anglais), ou Tarkan (Tarkin en VO).
« Tu sais ce qu’ils mettent sur les frites, sur Tatooine ? De la mayonnaise ! »
De la même manière, passons sur le fétichisme du traducteur pour le noir, visible dans les noms de Guerre noire (qui redeviendra Guerre des clones) ou l’Étoile noire (oui, c’est bien l’Étoile de la Mort).
Alors après, on peut s’interroger sur le nom du vaisseau le plus célèbre de la saga, où le Faucon est remplacé par un Condor : ce dernier est un charognard, faut-il y voir un lien avec le métier de chasseur de primes de Han Solo ? Voire des entourloupes de son propriétaire précédent, Lando Calrissian ? Possible, mais il redeviendra le Faucon Millenium à partir de l’épisode V.
Et le titre même de ce premier film, on en parle ? Parce qu’il y a comme une légère inversion qui n’aura échappé à personne. Star Wars désigne évidemment des « guerres stellaires », car c’est le mot « guerre » qui est au pluriel. En français, c’est transposé : on obtient La Guerre des étoiles – ce qui, honnêtement, claque un peu plus, niveau marketing. Au passage, il faudra attendre la réédition du film en 1981 pour qu’il devienne Star Wars, épisode IV : Un nouvel espoir.
Au passage, notre héros Luke Skywalker a échappé au pire, et deux fois : au départ, George Lucas voulait l’appeler « Starkiller », le tueur d’étoile, avant de se raviser car ce n’était pas un patronyme très positif… Il semblerait aussi qu’il ait évité le ridicule car ce « marcheur du ciel » est crédité comme « Luc Courleciel » dans le générique initial ! Je vous passe les transcriptions semi-phonétiques de « Zed Cispéo » (Z-6PO) et « Dédeu Hairdeu » (D2-R2, on y reviendra). Pour être honnête, ils s’appellent « See Threepio [C-3PO] » et « Artoo-Detto [R2-D2] » en VO…
« Personne ne m’appelle Chiktabba. On m’appelle Le Duc, mec »
Passons aux deux exemples les plus WTF de ce film qui a raflé sept Oscars en 1978 (dont celui de la Meilleure musique pour John Williams qui, fun fact, était aussi nommé cette même année pour Rencontres du troisième type). Les experts m’auront déjà vu venir : il s’agit des infâmes Chiktabba et D2-R2.
Pour le nom étrange de notre Wookiee préféré, le traducteur s’est fait plaisir. En cherchant d’où pouvait bien venir le nom de Chewbacca, il serait parti de l’hypothèse qu’il s’agissait d’une contraction de « chew » et « tobacco », donc de tabac à chiquer. D’où Chiktabba… et son surnom tout aussi ridicule, Chico, qui fait davantage penser aujourd’hui à un stéréotype de Brésilien ! Des moments d’anthologie sémantique à retrouver dans la vidéo ci-dessous. Pour être complet, Lucas a confié que le personnage de Chewbacca lui a été inspiré par son chien Indiana (qui inspirera aussi le nom d’Indiana Jones…). Quand on sait que « chien » se dit « sobaka » (собака) en russe, on peut y voir un peu plus qu’une coïncidence…
Concernant le droïde, pourquoi Diable inverser R2-D2 en D2-R2 ? Éric Kahane a emporté la clé du mystère dans sa tombe… Mais pour l’anecdote, sachez que ce nom est un acronyme arrivé complètement par hasard dans l’oreille de George Lucas. Lorsque le réalisateur montait son film précédent, American Graffiti, il entend son monteur Walter Murch prononcer cette série de lettres et chiffres qui l’interpelle. Il s’agissait seulement d’un repère, signifiant « Reel 2, Dialog track 2 » (2e bobine, piste Dialogues n°2). Lucas était justement en train de chercher des noms pour son prochain long-métrage…
« Hasta la vista, Obi »
Allez, un dernier exemple pour clôturer cette liste non exhaustive. Pour les traducteurs, le contexte est roi : selon la situation, une même phrase peut (et doit !) se traduire différemment. Et pour prouver que rien n’est simple, prenons une réplique de l’Empire contre-attaque, adapté par Michel Gast, qui a rétabli les noms des personnages et vaisseaux tels que nous les connaissons aujourd’hui.
Dans une scène où Obi-Wan Kenobi conseille à Luke Skywalker d’aller suivre une formation de Jedi, il lui dit : « You will learn from Yoda, the Jedi Master who instructed me ». La VF donne : « Tu suivras l’enseignement de Yoda, c’est le maître Jedi qui m’a tout appris. » Oui, mais voilà : le maître d’Obi-Wan est en fait Qui-Gon Jinn, comme on le découvrira des années plus tard. Yoda a sans doute débuté son apprentissage, car il s’occupait de l’enseignement des plus jeunes, mais il ne lui a pas « tout appris ». Il aurait donc était plus juste de dire « c’est le maître Jedi qui m’a formé ». Mais ça, le traducteur ne pouvait pas le savoir en 1980… Quand on vous dit que le contexte est vital !