The Final Frontier : de l’anglais au français
En 1966, une série de science-fiction créée par Gene Roddenberry fait ses débuts sur les écrans des États-Unis : Star Trek. Au fil des décennies, elle se déclinera sous de multiples séries et films et fera de ses deux principaux acteurs, William Shatner (James T. Kirk) et Leonard Nimoy (Spock), des figures culte des amateurs de science-fiction. Humaniste et positive, la première série, si elle est aujourd’hui datée du point de vue technique, reste très moderne dans son propos et ses interrogations. Mais tiens donc… comment son célèbre générique, dont la musique a été composée par Alexander Courage, a-t-il été adapté en français ? Que peut-on bien en dire ?
Remarques préliminaires : La version française de Star Trek est en fait une version québécoise réalisée par Sonolab. En effet, la série a été diffusée au Québec bien avant d’être diffusée en France et c’est cette version qui a été utilisée en France. La chose ne nous semble guère flagrante quand on regarde un épisode en VF en DVD, mais il semblerait que le doublage ait en partie été refait ou complété pour la sortie en DVD. Si vous avez des informations fiables sur le sujet, n’hésitez pas à vous manifester !
Pour commencer, signalons que Star Trek a été rebaptisée La Patrouille du cosmos au Québec. Bien sûr, on n’allait pas parler de « trek » ou de « rando », mais nous regrettons que le mot « patrouille » soit associé au monde militaire, ce qui n’est pas du tout le propos de la série… Par contre, cela rend bien la notion de dynamisme et de volonté dont nous parlerons plus loin. Quant au fait de parler du cosmos pour « star », cela élargit encore plus la vision de la série et nous semble très intéressant ! Mais passons au générique en lui-même…
Space: the final frontier.
Espace, frontière de l’infini,
Les tout premiers mots de ce générique, précédés par quelques notes qui font palpiter le cœur des fans, sont entrés dans l’histoire de la SF. On remarque tout de suite que l’adaptateur n’a pas choisi la traduction la plus proche : « the final frontier » aurait pu devenir « la frontière finale » (c’est-à-dire celle au-delà de laquelle il n’y a pas d’autre frontière, celle au-delà de laquelle on ne peut aller), mais il a décidé d’élargir la portée de cette phrase avec une figure assez poétique et évocatrice qui nous semble bien coller à l’esprit d’exploration de la série : « frontière de l’infini ». Nous sommes moins convaincus par l’absence de pronom défini au début de la phrase : « L’espace, frontière de l’infini » nous eut semblé plus spontané.
These are the voyages of the starship Enterprise.
vers laquelle voyage notre vaisseau spatial.
Première remarque sur cette deuxième partie : la version française la relie à la première en formant une seule et même phrase, ce qui n’est pas le cas de l’anglais. Cette décision nous semble pertinente car elle donne un certain rythme aux deux propositions et introduit la notion de mouvement vers cet infini dont on vient de parler. (Certes, « l’infini » était absent de la version originale ; mais, une fois qu’il a été décidé de l’insérer dans la version française, autant l’exploiter.)
Le français marque une autre différence par rapport à l’anglais : l’introduction de la première personne du pluriel avec le possessif « notre ». Le spectateur comprend donc que le point de vue de la série se situera du côté des habitants et/ou de l’équipage du vaisseau, là où l’anglais gardait une vue plus détachée du vaisseau dans son ensemble (dans le générique, d’ailleurs, on ne voit aucun acteur, juste l’Enterprise).
La notion de voyage véhiculée par « voyages » en anglais (un mot que le dictionnaire Collins définit comme « a journey, travel, or passage, esp. one to a distant land or by sea or air ») est conservée mais de manière active, avec un verbe plutôt qu’un nom. Au lieu de dire dire « voici les voyages de l’Enterprise » , le français dit « l’Enterprise voyage », ce qui est pertinent pour une langue qui privilégie la forme active.
On remarque toutefois que le nom du vaisseau a disparu de la version française ! Le vaisseau spatial reste anonyme et nous trouvons cela bien dommage. Même en gardant cette construction, il nous semble qu’il aurait été tout à fait possible de dire « vers lequel voyage notre vaisseau spatial, l’Enterprise » … Un choix peut-être lié à la moindre présence de l’anglais de la vie quotidienne de l’époque ? Ou crainte que la phrase française ne devienne trop longue ?
Its five-year mission
Sa mission de cinq ans :
Rien à dire. 😀
to explore strange new worlds.
explorer de nouveaux mondes étranges,
Cette partie résume à la perfection la série d’origine, qui présentait globalement une nouvelle planète à chaque épisode ! L’adaptation française est parfaitement fidèle.
To seek out new life and new civilizations.
découvrir de nouvelles vies, d’autres civilisations,
Les différences entre ces deux versions sont très intéressantes.
Le verbe « to seek out » a été transposé par « découvrir ». Il y a un changement de sens : « to seek out » ne signifie pas « découvrir » mais plutôt « chercher », et même chercher avec un certain dynamisme (par exemple, on « seek out the truth »). Il s’agit d’aller chercher les rencontres et de les provoquer, pas d’attendre passivement que l’extraterrestre vienne à nous. Ne voyant guère comment rendre une telle idée de manière positive en français (« chercher » a quelque chose de potentiellement négatif – après tout, chercher ne signifie pas trouver…), le changement de verbe en français nous paraît judicieux.
Le passage du singulier de « new life » au pluriel de « nouvelles vies » nous semble quant à lui indispensable (un singulier aurait été étrange ou réducteur) et cela permet en outre d’avoir deux pluriels (« vies » et « civilisations ») à la suite du verbe « découvrir », un atout pour le rythme de la phrase.
Le dernier changement est celui de « new civilisations », qui aurait pu devenir « de nouvelles civilisations » (avec « découvrir de nouvelles vies et de nouvelles civilisations » ou bien « découvrir de nouvelles vies et civilisations ») mais est devenu « d’autres civilisations ». Ce choix permet d’éviter une répétition (« nouvelles »), quelque chose dont la langue française a horreur et dont le traducteur cauchemarde la nuit, et nous trouvons que c’est une idée plutôt brillante. Elle élargit le propos et introduit, en plus de la nouveauté, la notion de différence ou d’altérité, qui est très présente dans cette série.
To boldly go where no man has gone before!
et au mépris du danger avancer vers l’inconnu…
La conclusion du générique anglais est devenue pratiquement aussi célèbre que son introduction et a beaucoup évolué dans son adaptation française.
Rendre « boldly » (audacieusement, hardiment) par « au mépris du danger » nous paraît plutôt brillant : c’est une expression idiomatique pas très courante mais parfaitement compréhensible, qui rend bien l’idée que nos explorateurs avancent avec détermination (et qui peut véhiculer une partie du dynamisme lié à « to seek out », qui s’est perdue avec le verbe « découvrir », dont nous avons parlé plus haut). Le verbe « avancer » est d’ailleurs un choix du français, l’anglais se contentant de « to go », qui manque peut-être légèrement de grandeur pour l’exploration spatiale !
Si « avancer vers l’inconnu » est une belle tournure et introduit la notion d’inconnu, centrale dans cette série où chaque épisode ou presque commence par l’étude sommaire d’un nouveau monde, il nous semble toutefois dommage d’avoir perdu l’image liée à répétition d’un seul verbe (« to boldly go » « where no man has gone » ). Un « et, au mépris du danger, aller là où l’humanité n’est jamais allée » nous aurait bien plu !
Et vous, que pensez-vous de la version française de ce générique ? Vous donne-t-il envie d’embarquer à bord de l’Enterprise, que ce soit en VO ou en VF ? La traductrice, en tout cas, a des étoiles plein les yeux…